Quand l’ITE s’adapte aux changements

Depuis 35 ans, les techniques constructives des bâtiments d?habitation ont largement évolué sous l?impulsion des pouvoirs publics, soucieux de renforcer les exigences de performance thermique des bâtiments.

 

 

Façade avec revêtement aluminium

 

© Boschat Laveix

François Millasseau, directeur du marché “Artisans et poseurs” de la société Boschat Laveix

 

Très répandue dans le Nord et le centre de l’Europe, l’Isolation Thermique Extérieure (ITE) gagne progressivement du terrain en France. Focus.

Depuis combien de temps exactement l’ITE a-t-elle commencé à prendre son essor dans l ’Hexagone ? François Millasseau est bien placé pour évaluer les tendances : en tant que directeur du marché "Artisans et poseurs" de la société Boschat Laveix, il distribue dans toute la France – grâce à une équipe de commerciaux itinérants – des accessoires pour découper, coller ou fixer les éléments qui constituent une ITE. Sa clientèle est composée de menuisiers et de serruriers. Selon lui : « tout s’est accentué avec la mise en place des aides gouvernementales pour la rénovation énergétique. Chez Boschat Laveix, nous avons pu le mesurer à travers nos commandes ». Une impression partagée par Frédéric Lahousse, directeur commercial de Scell-it, entreprise familiale du Nord de l’Hexagone spécialisée dans la fourniture de fixations pour le bâtiment et partenaire de Boschat Laveix : « l’intérêt pour l’ITE en France est lié aux textes réglementaires qui découlent du Grenelle de l’Environnement. En fait, la RT 2012 est venue mettre une pression sur tous les acteurs du marché qu’ils soient constructeurs, fabricants ou impliqués dans le domaine du bâtiment, de la distribution ou de l’architecture. Nous avons senti un très net changement à partir de ce moment-là ».

Selon Guillaume Dufaix, responsableR&D de Louineau, autre acteur de poids dans le domaine de la fixation : « cela fait des années que l’ITE s’étend en France, malgré un petit coup de frein après l’incendie de la tour Grenfell, survenu à Londres en juin 2017. À la suite de cela, certains éléments ont été clarifiés… Depuis, l’ITE se développe de plus en plus. Chez Louineau, nous constatons une tendance certaine dans l’habitat collectif neuf. Nous le voyons aussi en rénovation, à partir du moment où les menuiseries sont changées. L’ITE séduit également le secteur tertiaire : les rénovations lourdes des cités administratives y font appel de plus en plus ».

Directeur Support Technique Wicona France, société du groupe norvégien Hydro, Fabrice Triaes est un familier de l’ITE : « la marque Wicona a des ramifications germaniques et l’ITE est une solution d’isolation employée déjà depuis longtemps en Allemagne et dans le Nord de l’Europe. Elle permet à la fois de palier tous les problèmes de pont thermique et de mieux gérer l’isolation par la façade avec des produits plus performants et qui n’empiètent pas sur la surface aménageable du bâtiment. Cela fait une dizaine d’années que nous réalisons des déclinaisons de nos systèmes de fenêtres en France pour les rendre compatibles avec l’ITE ».

 

 

© Scell-it

« Notre société écoule environ 200 millions de chevilles de fixation par an. Sur le marché de la distribution,nous occupons l’une des trois premières places dans notre métier, en fonction des familles de produits » Frédéric Lahousse, directeur commercial et export de Scell-it et partenaire de Boschat Laveix

 

Des isolants de plus en plus épais

 

Dans un rapport de missiondu CSTB publié en juin 2017 et consacré à l’évaluation de la réglementation sécurité incendie en habitation, nous apprenons que « les versions successives des réglementations thermiques (RT 88, RT 2000, RT 2005, RT 2012) se sont traduites par une augmentation progressive des épaisseurs d’isolant. On est ainsi passé d'une quasi absence de matériaux d'isolation thermique avant 1982, à environ 4 cm d'isolation jusqu'en 1988, 7 cm jusqu'en 2001 (effet de la RT 88) puis 8 à 10 cm à partir de 2002 (effets de la RT 2000 et RT 2005).

Aujourd'hui, selon la base de données du Récapitulatif Standardisé d’Étude Thermique (RSET) – un fichier établi par le BET thermique à l’étape du permis de construire puis à la fin de travaux – la RT 2012 se traduit par une épaisseur moyenne d'isolation de l'ordre de 15 cm, celle-ci pouvant aller jusqu'à 38 cm dans certains bâtiments ».

 

L’ITE touche environ 15 % des maisons individuelles françaises

 

Parallèlement à l’augmentation des épaisseurs d’isolant, les techniques d’isolation par l’extérieur (ITE) se sont développées. Conséquence : alors qu’elle restait très marginale dans les années 80, la part de marché de l’ITE en construction neuve est aujourd’hui de l’ordre de 15 % pour les maisons individuelles, 25 % pour les bâtiments de sept étages au plus sur rez-de-chaussée et 50 % pour les Immeubles de Grande Hauteur (IGH) selon la base de données RSET. « L’ITE se développe aussi rapidement dans le cadre des rénovations de bâtiments existants car elle présente l’avantage de pouvoir être réalisée en site occupé, ce qui est particulièrement intéressant pour les grands bâtiments », pointe le CSTB.

 

Le Sillon de Bretagne : une intervention de trois ans en site occupé

 

Louineau en a fait l’expérience à Saint-Herblain, en périphérie Ouest de Nantes, entre 2011 et 2013, lors de la réhabilitation du Sillon de Bretagne. Ce bâtiment gigantesque de près d'1 km de long et 100 m de haut a été construit au début des années 70. Il se composait à l’origine de 909 logements, abritant près de 2 500 habitants, soit l'équivalent d'une petite ville. Trois années de travaux, menés en site occupé, ont permis de réhabiliter l'ensemble des logements et des parties communes : 181 appartements ont été supprimés, 114 transformés en bureaux ou équipements publics et 67 démolis. Louineau a procédé au changement de 4 500 menuiseries et le bâtiment a reçu une ITE sur l’ensemble de ses façades. Le Sillon de Bretagne renferme désormais 21 000 m² de bureaux et 628 logements. Près de 3 300 personnes y vivent ou y travaillent.

 

Avantages et inconvénients de l’ITE

 

L’Isolation Thermique par l’Extérieur présente plusieurs avantages :

• Elle remplit et dépasse les critères d’exigence des réglementations thermiques actuelles et permet d’anticiper les évolutions à venir dans ce domaine

• Elle offre une excellente étanchéité à l’air

• Elle augmente l’isolation acoustique

• Elle génère d’importantes économies d’énergie en hiver et aide à conserver la fraîcheur en été

• En rénovation, elle peut être posée sans gêner la vie quotidienne des occupants de l’habitation

• Les finitions disponibles sont variées et peuvent améliorer l’aspect esthétique d’un bâtiment

 

Cependant, l’ITE présente aussi d’autres nécessités, surtout perceptibles dans le cadre de la rénovation :

• Elle augmente l’emprise au sol du bâtiment

• Elle modifie l'aspect extérieur de la maison

• Si les débords de toit sont peu étendus, il faudra prévoir une avancée complémentaire et redimensionner les gouttières

• Le système de fermeture des volets battants devra être revu

• Les murs s'épaississant, l'apport lumineux peut diminuer

• Certaines finitions ne sont pas en accord avec les réglementations de certaines mairies ou des Bâtiments de France

 

Deux différents types d’ITE

 

Il existe deux techniques d’ITE selon le type de finition voulu. La première est l’ITE par enduit : un isolant thermique est fixé au mur par collage ou par fixation mécanique (chevilles ou profilés) puis il est recouvert d’un enduit, composé d’une couche de base armée et d’une couche de finition. Le second procédé d’ITE est le bardage rapporté avec lame d’air ventilée. Il est composé d’un isolant, d’une ossature fixée mécaniquement à la structure porteuse de l’ouvrage à revêtir, d’une lame d’air ventilée et d’un parement extérieur (en bois, en métal...) fixé sur l’ossature. Le bardage rapporté donne son aspect extérieur au bâtiment. Il participe également à l’étanchéité de la paroi en protégeant à la fois la structure porteuse et l’isolant de la pluie et des aléas climatiques.

 

 © D.R.

Entre 2011 et 2013, Louineau a participé à la réhabilitation du Sillon de Bretagne à Saint-Herblain, près de Nantes, procédant au changement de 4 500 menuiseries sur ce bâtiment gigantesque qui a reçu une ITE sur l’ensemble de ses façades

 

© Cyril Badet

 

À la découverte des éléments de fixation

 

La fixation des éléments est prépondérante car c’est elle qui assure la bonne tenue de l’ITE dans le temps. Pour Frédéric Lahousse, directeur commercial de Scell-it : « On retrouve plus ou moins de fixations selon les choix d’ITE. Le projet le moins coûteux fait intervenir entre 5 et 8 fixations en plastique, de type cheville à rosace, au mètre carré pour un coût maximum de 5 €. D’autres systèmes de fixation sont plus onéreux : ils comportent une équerre de bardage, différentes fixations pour les ossatures de l’ITE et pour les isolants, ce qui fait monter l’addition à 15 €, voire 20 € au mètre carré. Tout dépend de l’isolant que vous voulez mettre dans votre ITE et de l’endroit où vous souhaitez réaliser les travaux. Le coût de l a fixation reste minime rapporté à ceux de la main d’œuvre, des matériaux, de la location des engins de levage, de portage et des échafaudages, surtout à l’heure où le coût des matériaux flambe ».

 

© Louineau

« L’ITE permet de récupérer un bâtiment performant. À partir du moment où il y aura une volonté d’éviter la déconstruction, l’ITE va se renforcer » Guillaume Dufaix, responsable R&D de Louineau

 

En applique ou en tunnel ?

 

Responsable R&D de Louineau, Guillaume Dufaix a éprouvé les techniques de pose les plus efficaces : « nos pattes de fixation conviennent aussi bien pour l’ITE que pour l’ITI. Nous concevons des précadres que nous posons sur cornières : ce sont des ensembles monoblocs qui peuvent être fixés sur la façade extérieure. Puis la menuiserie est posée en tunnel à l’intérieur. Cela simplifie toute la partie pose. Nous pouvons, au choix, régler le précadre pour qu’il reçoive une menuiserie ou bien disposer une menuiserie dans le précadre en amont. Après quoi, nous “tamponnons” l’ensemble sur la façade : nous le fixons en applique. C’est beaucoup plus facile ». Autre solution, poursuit Guillaume Dufaix : « les précadres sont montés en amont sur la façade et la menuiserie est posée en tunnel, une méthode assez proche du mode de pose traditionnel. L’avantage est que la menuiserie est maintenue. Lors de la pose, nous sommes au dessus du vide : plus la solution est simple à mettre en oeuvre, plus elle est rapide et efficace. L’étanchéité est également plus simple à gérer avec des calfeutrements en tunnel, connus et maîtrisés. Nous rattrapons ainsi tous les problèmes de tolérance que nous pouvions avoir sur le gros oeuvre ».

 

 © Vues CSTB/D.R.

 

© Wicona

ITE sur modules aluminium de 65 mm. En juin dernier, Wicona a lancé deux nouveaux systèmes de façades utilisant des joints extérieurs en PTE recyclables à 100 %

 

Pour sa part, Fabrice Triaes, directeur Support Technique Wicona France, détaille : « nous offrons à nos clients toute une gamme de dormants (visibles ou cachés), de fenêtres à frappe ou de coulissants avec différents niveaux de performance. Ces produits compatibles avec l’ITE sont développés sur la base des Règles de l’Art. Grenelle Environnement 2012 (RAGE) et du Document Technique Unifié 36.5, une sorte de cahier des charges qui définit les normes françaises concernant les travaux du bâtiment. Nos produits s’adaptent aux projets de nos clients. Pour l’ITE, nous proposons des ailettes qui se fixent en applique extérieure, prépercées. Nous avons également développé des systèmes de supports de membranes : ils permettent à nos clients de directement les clipper sur les profilés, en partie haute sur la maçonnerie. Ce qui évite à la fois les problèmes de collage et les soucis de recouvrement du  bandeau supérieur du châssis. Si vous faites de l’ITE, l’idée n’est pas de faire du précadre périphérique filant. C’est pour cela que nous proposons tout un système de pattes de fixation différentes, entre la traverse basse et le pourtour du châssis. Nous disposons enfin d’un système de patins que l’on vient positionner sans percer au niveau de la rupture de pont thermique, ce qui permet d’optimiser le bilan thermique de cette mise en oeuvre ».

 

L’ITE va-t-elle s’industrialiser avec la préfabrication ?

 

Question : la fabrication sur mesure en atelier d’une ITE puis sa pose rapide sur le chantier deviendront-elles bientôt les standards pour ce type d’isolation ? Autrement dit, l’industrie va-t-elle l’emporter sur l’artisanat pour le déploiement de l’ITE ?

 

Responsable R&D de Louineau, Guillaume Dufaix pense que oui : « dès que l’on travaille sur des immeubles en ville, nous nous heurtons au problème de la main d’oeuvre qualifiée. Ce qui nous amène à un souci de certification de la qualité de l’ouvrage, sans omettre la maîtrise du temps et des aléas. De surcroît, intervenir dans les villes est assez contraignant : il n’y a pas de zone de stockage. Ce qui nous amène à réduire le temps du chantier. Pour y parvenir, la solution est de faire intervenir un maximum d’éléments préfabriqués. Les éléments isolants ne sont pas d’un poids très important mais ils peuvent être volumineux. Chaque chantier ayant ses spécificités, il y aura plusieurs solutions pour en résoudre la complexité. Certains chantiers peuvent durer plusieurs années et être découpés en tranches. D’autres cas induisent une construction très rapide de l’ouvrage. La contrainte de temps de l’intervention est très forte. En revanche, en amont, nous avons du temps pour la préparer. La construction hors site est alors intéressante. Nous avons déjà eu à effectuer de telles interventions, notamment sur de la construction bois. D’autres chantiers étaient tournés vers la rénovation en ITE traditionnelle sur de grandes tours ».

 

© Wicona

« Nos solutions allient esthétisme et performances avec une préoccupation environnementale liée au recyclage. Nous l’avons démontré avec notre aluminium Circal 75 R et nos barrettes polyamides, tous deux recyclés. Nous sommes totalement prêts à mettre nos produits en adéquation avec la RE 2020 » Fabrice Triaes, directeur Support Technique

 

Fabrice Triaes, directeur Support Technique Wicona France, expose en revanche, un avis opposé : « dans les faits, je ne pense pas que l’’ITE en tant que telle accélère le mouvement de l’industrialisation de la menuiserie en France. Ce mouvement est déjà lancé. Quelque part, l’ITE contraint un peu les industriels parce qu’elle implique des châssis moins faciles à transporter : ils prennent plus de place et sont moins facilement conditionnables sur palettes. Il est vrai que l’ITE permet de standardiser un certain nombre d’éléments dans la mise en oeuvre. Mais ce n’est pas la solution la plus économique pour les industriels qui vont toujours lui préférer la vision du "châssis dans le trou" puisqu’elle nécessite moins de matière et moins de gestion des aléas des environnements périphériques et qu’elle est plus facile à appréhender du point de vue de la reprise d’étanchéité ». Fabrice Triaes en est persuadé : « la problématique vient plutôt des entreprises générales du bâtiment qui, pour des raisons de coûts et de standardisation, vont aller vers des solutions industrielles, quitte à égratigner la vision de l’architecte et sous-traiter la pose de l’ITE avec plus ou moins de réussite. Nous, en tant que gammiste, nous permettons à nos clients qu répondent à des appels d’offres publics ou privés (la majorité sont axés sur le tertiaire) d’obtenir un palliatif aux solutions industrielles. Nous leur permettons de s’adapter à ce marché pour qu’ils puissent faire de l’ITE sur mesure. L’ITE n’est pas encore standardisée et elle ne le sera pas tout de suite pour ce qui concerne les modules extérieurs, dont les épaisseurs peuvent mesurer 120, 140, 160 ou 200 mm, voire davantage ».

 

© Scell-it

« Depuis 2010, Scell-It a une activité au Royaume-Uni. Nous touchons aussi la Pologne depuis 2011 et l’Italie depuis 2020 » Jérémy Foulon, directeur technique de Scell-it

 

Directeur technique de la société Scell-it, Jérémy Foulon offre un point de vue nuancé : « la préfabrication a tendance à s’accélérer pour gagner du temps de montage sur le chantier. Les coûts de main-d’oeuvre et de levage, sans oublier les délais importants représentent la majeure partie du coût final du chantier. Toute l’industrialisation en amont est forcément rentable. Nous voyons de plus en plus d’éléments préfabriqués, voire parfois pré-isolés. C’est vrai pour les opérations à grande échelle, en construction, dans le neuf. Mais l’artisanat est encore bien présent lors des travaux menés sur des maisons individuelles : les méthodes traditionnelles ont encore de belles années devant elles, à mon sens. Quant à la part de la rénovation, elle est primordiale. Mais elle laisse assez peu de place à la préfabrication, ne serait-ce que pour des raisons de mise en oeuvre. On rénove en rajoutant de l’isolant : on enlève rarement un mur complètement pour le remplacer par un nouveau ».

Directeur du marché "Artisans et poseurs" de la société Boschat Laveix, François Millasseau le souligne : « lorsqu’il s’agit de rénovation, une grosse partie de la mise en oeuvre s’effectue sur le chantier. Nos artisans sont équipés comme des poseurs : le plus souvent, ils ont très peu d’ateliers. Heureusement, il y a aujourd’hui davantage de matériel qui facilite la coupe et la pose de l’ITE sur le chantier. Cela leur facilite la tâche ».

 

 photo de couverture © Boschat Laveix

Pour Boschat Laveix, le marché de l’ITE va continuer à progresser avec la nouvelle règlementation pour les logements locatifs qui ne doivent plus être des passoires thermiques

 

Source : verre-menuiserie.com

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