Les Architectes de l’urgence au service des libanais à Beyrouth

De retour de Beyrouth, l?architecte Patrick Coulombel témoigne.

Depuis votre retour du Liban et compte tenu de votre expérience de ce type de situation d'urgence, quel est votre constat sur les désordres causés par l'explosion ?

 

On est en présence du même type de catastrophe qu’à Toulouse en septembre 2001 lors de l’explosion de l’usine AZF. Architectes de l’urgence y avait alors travaillé près de deux ans et nous avons donc pu constater des dégâts similaires à Beyrouth. Dans un rayon de moins d’un km de l’explosion, beaucoup de destructions, et au-delà,  en fonction de la distance, nous constatons des désordres plus ou moins importants sur les bâtiments. Ceux en acier sont détruits, la structure de ceux en béton a mieux supporté l’explosion mais toutes les menuiseries intérieures / extérieures, les plafonds, cloisons légères, les habillages de façade, les couvertures en tuiles, les gardes corps, sont soit détruits, soit fortement endommagés.

 

Les bâtiments anciens en maçonnerie (et notamment le patrimoine historique) ne comprenant pas de renforcement type chaînage en béton et poteaux de liaisons, sont endommagés à des degrés divers, mais fort heureusement peu d’entre eux sont détruits.

 

Plus on s’éloigne de cette distance de 1 Km de l’explosion, plus le niveau de destruction se réduit et nous sommes alors plus sur un sinistre de menuiseries extérieures et de verres cassés et cela jusqu’à plus de 10km de l’explosion.


L’ampleur est-elle similaire à celle d’AZF ?

 

L’explosion s’est décomposée en 2 phénomènes, un petit séisme (3,3 de magnitude) et un effet de souffle très puissant. Nous avons également pu constater que les silos à grain du port ont très vraisemblablement, du protéger la partie ouest et sud-ouest de la ville. Il est très probable que les dégâts auraient été bien plus importants sans ce rempart. Bien que la magnitude soit identique à l’explosion de l’usine AZF, la zone touchée à Beyrouth est bien plus importante car l’ampleur de l’explosion a été très supérieure. En effet, à Toulouse les dégâts ne se sont pas étendus au-delà de la zone de 2 à 3 km de l’usine qui a explosée. Autre différence notable, la densité des immeubles de grande hauteur qui sont nombreux à Beyrouth, aussi les dégâts dans les grands immeubles ont été conséquents notamment dans des quartiers tels que celui de Gemmayzeh ou encore cela de Karantina.

 

Quels seront les premières mesures à opérer ?

 

Le chantier de remplacement de menuiseries extérieures et de portes est immense. C’est le désordre le plus important en termes de quantité et d’étalement dans la ville. Les bâtiments les plus touchés en béton devront subir une restructuration lourde, et une bonne partie des façades et du second œuvre seront à reprendre entièrement.

 

Par ailleurs, le chantier de démolition des bâtiments (entrepôts) du port sera énorme et  libérera de l’espace pour de possibles nouveaux aménagements. L’enjeu urbain que représente la création d’une nouvelle relation entre la ville et le port mérite réflexion.

 

Lors de vos évaluations, avez-vous été en contact avec les sinistrés, la population ? et quelles sont vos constatations  sur l’aspect humain ?

 

Les populations sont massivement choquées. Toutes ont, en effet, comme à Toulouse en 2001 (10 jours après le 11 septembre) le sentiment que l’explosion était volontaire…Aussi, la colère est souvent présente, mais ne règle bien évidemment rien au traumatisme collectif vécu. Il est plus que souhaitable d’être à l’écoute des sinistrés et de communiquer avec les populations lors des visites des logements, des bureaux, des commerces, des écoles, administrations sur le phénomène technique et d’accompagner cela de psychologues qui seraient à même d’aider les personnes les plus choquées. Cette approche, peu commune, a une réelle efficacité pour le retour à la vie d’avant, car accompagner techniquement et simultanément psychologiquement les populations peut éviter les post-traumatismes.

 

© Architectes de l'urgence

 

A la suite de vos premières constatations, et en fonction de votre expérience : quel est votre sentiment sur les mesures urgentes à mettre en œuvre ? Sont-elles déjà en cours et comment ?

 

Beaucoup de choses importantes ont déjà été faites par la population, la capacité de relèvement des Libanais est hors norme. Le nettoyage des rues a été immédiat, les déblaiements sont en cours et les populations se sont mises à réparer eux-mêmes leurs logements comme ils le pouvaient en fonction de leurs moyens. Les immeubles les plus touchés ont été visités par des experts de la ville et de l’Ordre des architectes et ingénieurs libanais, mais ce n’est pas terminé, plus de 5000 bâtiments ont été affectés. Ce travail conduit à la sécurisation de sites qui n’est pas forcement réalisée du fait de l’absence de matériel et de personnel qualifié, cela prendra encore du temps. Mais les gens se prennent en charge et l’élan de solidarité est indéniable.

 

Avez-vous une idée du coût de la remise en état des zones dévastées à Beyrouth ?

 

La conférence des donateurs a prévue 252 millions d’euros pour l’aide d’urgence. Le retour dans les logements est une priorité tout comme la remise en état des écoles et des hôpitaux, il est clair qu’avec ce qui est prévu, c’est tout simplement impossible. L’aide d’urgence est nettement insuffisante, dans quelques semaines, on sera en automne, plus de deux semaines après la catastrophe, très peu de personnes ont pu remettre des fenêtres à leur logement et les écoles n’en sont qu’au déblaiement. En ce qui concerne les hôpitaux, leur remise en service peut prendre une, voire deux années. Le coût de la reconstruction des zones touchées va se chiffrer en milliards d’euro, on est loin du compte aujourd’hui, la générosité des pays donateurs est frileuse, on est loin de l’élan de générosité de Notre de Dame de Paris. Il faudrait pourtant rebooster l’économie avec de grands projets dans la zone portuaire et créer une relation intime entre le port et la ville. Peut être serait il aussi intéressant de penser au stockage des denrées dangereuses ailleurs qu’en ville ? Cela peut s’avérer long et coûteux mais il s’agit probablement aussi du Beyrouth de demain.

 

et combien de temps prendra la reconstruction ou réparation des zones affectées ?

 

A Toulouse, la reconstruction du site d’AZF a mis près de 10 années, aussi, ce ne serait pas étonnant que l’on soit dans des délais du même type pour la zone du port à Beyrouth. Les fenêtres ne pourront pas toutes être posées avant deux ans, il a fallu ce temps à Toulouse, on est sur un chantier de deux à trois ans pour enlever les stigmates de cette catastrophe, mais tout est possible, on est au Liban.

 

Quelles sont vos actions d’urgence ?

 

Nous avons effectué de la distribution de matériel technique, destiné à aider aux opérations de déblaiement et de réparation, à différentes organisations locales, Arc en Ciel, BASSMA et OFFREJOIE. Ces organisations interviennent dans les quartiers sinistrés et sont des partenaires choisis par nos partenaires de l’opération Windows for Beirut . Dans ce cadre, nous avons pu bénéficier de matériel neuf de construction de qualité (don émanant de notre partenaire WURTH France), transporté par l’armée Française depuis Toulon avec le concours du Centre de Crise du Ministère des Affaires Étrangères français.

 

Enfin, pensez-vous que la solidarité qui s'est manifestée à la suite de cette explosion, permet ou permettra de mobiliser les fonds nécessaire à la remise en état / reconstruction des zones sinistrées ?

 

Nous avons créé WINDOWS FOR BEIRUT avec Lara MOUTIN et Ricardo KARAM (journaliste reconnu dans le monde Arabe), une initiative sous forme de fondation abritée par la fondation Architecte de Monde qui a  pour objectif de faire rentrer les gens dans leur logement le plus rapidement possible. Notre objectif est de récolter 1,3 M€ pour pouvoir aider 10 000 personnes à retourner dans leur maison. L’opération débute maintenant, on souhaite y associer le plus de monde possible et créer un élan de générosité important.

 

Avez-vous des programmes de reconstructions identifiés ?

 

Nous avons deux axes de programmation :

 

Tout d’abord, l’opération WINDOWS FOR BEIRUT qui a été créée pour l’aide au relogement de 10 000 personnes pour qu’elles puissent passer l’hiver décemment en réparant les portes et fenêtres, on table sur un budget d’un million à un et demi-million d’euro en fonction du niveau de destruction. C’est dans le cadre d’une opération d’urgence et se sera partiellement du provisoire.

 

Mais aussi, des programmes de REPARATION D’ECOLES, nous avons en effet, pu identifier plusieurs programmes potentiels ci-dessous, mais leur mise en œuvre dépendra des fonds que nous parviendrons à collecter.

 

  1. Le collège de United Armenian, comprenant 530 enfants, situé assez loin de l’explosion, il a cependant subi diverses dégradations et dégâts en menuiseries extérieures. Le coût des réparations est estimé à 160 000 €.
  2. Le collège Zarat El Ihsan, comprenant 350 enfants, et un orphelinat, a été  fortement endommagé, les travaux de réparation vont s’approcher de 420 000 €.
  3. Le collège Lassale des Frères Sacré Cœur comprenant plus de 1500 élèves, situé près du port, ne comporte pour sa part quasi plus de menuiseries ni portes en état, la réparation de l’ensemble est estimé à 1 900 000 €.
  4. L’école  des Trois Docteurs, fréquentée par 180 élèves, comporte des problèmes de structure, et les menuiseries extérieures, certaines cloisons et portes sont fortement endommagées. Nous recherchons 380 000€ pour la réparer et faire fonctionner normalement cette école.

 

La fondation Architectes de l’Urgence en partenariat avec l’opération Windows For Beirut souhaite être un acteur de la réparation pour assurer le relogement d’urgence des populations ainsi que le retour des enfants à l’école.



Source : verre-menuiserie.com

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